Lorsqu’on est noir de peau, on est forcément confronté, un jour ou l’autre, à la question de l’esclavage. Dans ce contexte, certains personnages sont toujours mis en avant : Martin Luther King, Nelson Mandela, parce qu’ils prônaient une valeur au-dessus de toutes les autres : l’amour. L’amour à travers le pardon, l’empathie, la tolérance, la patience, le recul. D’autres figures marquantes de l’histoire récente sont souvent citées pour leur lutte pacifique, comme le 14ᵉ dalaï-lama ou encore Gandhi (bien qu’ils soient aujourd’hui controversés sur d’autres sujets plus ambigus, mais c’est une autre histoire).
En réalité, cette question de l’esclavage est centrale dans l’histoire de l’humanité, à travers toutes les luttes, toutes les cultures et religions confondues : doit-on lutter par la force, par la violence, ou de manière pacifique ? Bien avant eux, un homme qui a marqué l’histoire de l’humanité il y a plus de 2000 ans pensait avoir trouvé la réponse. Il s’appelait Jésus. Pour lui, c’était simple : il n’y avait qu’une clé à tous les problèmes : l’amour. L’amour à travers le pardon, l’empathie, la tolérance, la patience et le recul.
Mais pour un mec comme moi, un citadin, né dans une société où l’Église a été séparée de l’État, Jésus, c’était pas forcément ma tasse de thé. Et les discours “peace and love” c'étaient vraiment des trucs de baba-cool. Moi, j’étais plutôt du genre Malcolm X. Et pour Malcolm X, il n’y avait pas de “turn the other cheek”. Son discours, c’était “œil pour œil, dent pour dent”. Pendant longtemps, cette dynamique m’a guidé. Les gens qui me faisaient du mal, je voulais les détruire. Ceux qui me détestaient, je les haïssais. Ceux qui me négligeaient, je les méprisais. C’était aussi simple que ça. Cela m’a conduit à beaucoup de conflits, à me battre souvent, pour ce que je pensais être juste, du moins de mon point de vue.
Je suis né dans une société très américanisée, à tous les niveaux. J’ai été inondé de films américains durant toute mon enfance : ces films où le “bien” triomphe du “mal” à coups de mitraillettes, ces films de vengeance. Les Américains adorent la vengeance. Ils adorent ces histoires comme celle de The Pursuit of Happyness, ce film avec Will Smith où un homme sans-abri et méprisé devient riche et puissant grâce au trading et finit par humilier son ancien patron. Où comme dans The Punisher, le mec revient massacrer tout ceux qui lui on fait du mal. Les Américains voient les choses très simplement : “Soit vous êtes avec moi, soit vous êtes contre moi.” George Bush avait utilisé cette phrase avant de détruire l’Irak au nom de la “démocratie” : “Vous êtes avec nous ou avec les terroristes.” On dit souvent que les américains dominent le monde par l'armée et le dollars. Mais ils ont aussi énormément influé le monde à travers ce qu'on appel aujourd'hui le "soft power".
J’ai dit plus haut que je suis né dans une société où l’Église et l’État ont été séparés. En réalité, je pourrais tout aussi bien dire : “Je suis né dans une société où la science matérielle, les croyances matérielles, le concept de propriété, de biens, de capital et de productivité ont pris la place de la spiritualité.” Je dis “spiritualité”, mais pour être plus précis, on devrait parler de développement spirituel. Aujourd’hui, ça revient à la mode avec le développement personnel qui est simplement une appellation plus mainstream de développement spirituel dans lequel on retrouve exactement les mêmes outils : la méditation, la nature, le pardon, l’amour de soi et des autres, l’empathie, la tolérance, la patience, la prise de recule.
Je suis né loin des religions, mais plus j’avançais dans la vie, avec ce prisme du combat, du “œil pour œil, dent pour dent”, cette vision de “manger ou être mangé”, plus je me retrouvais confronté aux questions du développement personnel. Et plus vous utilisez des outils de développement personnel, plus vous vous rapprochez de la spiritualité, donc de Jésus. Je ne suis pas en train de faire du prosélytisme pour les catholiques. Loin de là. Quand je parle de Jésus, je parle de son message, que je peux apprécier sans être religieux, comme c’est mon cas.
Ce que j’essaie de dire, c’est que la lutte de Malcolm X ou de Nelson Mandela, la lutte entre la force et la paix, cette lutte aussi vieille que l’humanité, c’est celle que chacun de nous porte au fond de soi. D’une manière ou d’une autre, nous y sommes tous confrontés : au travail avec les collègues ou les patrons, avec notre conjoint, nos parents, nos frères et sœurs, nos amis. Un jour ou l’autre, nous nous retrouvons tous dans une situation où nous sommes méprisés, détestés, insultés, négligés. Est-ce que je combats ? Est-ce que je fuis (ce qui est similaire) ? Ou est-ce que je pardonne ? Est-ce que je reste prisonnier de ma colère, de mon mépris, de ma tristesse, de mon anxiété ? Ou est-ce que je choisis la tolérance et la gratitude ?
Pour notre jeune société américanisée, la réponse est toute trouvée : “Ce sera moi ou ce sera les autres.” J’insiste sur jeune, parce que dans les anciennes sociétés, les vieux étaient valorisées pour leur sagesse, pour leur recul. Je n’ai pas toujours valorisé le message des anciens, parce que lorsqu’on est jeune, on est très arrogant. Mais j’ai découvert qu’ils finissent souvent par avoir raison. C’est le propre de l’expérience. Au fil des miennes, au fil de mes combats, de mes conflits, et donc de mes recherches en développement personnel (car pour moi, conflit = développement personnel, c’est totalement synonyme), j’ai constaté que chaque difficulté est une occasion de progresser. Et une des réponses qui revenait le plus souvent était ce fameux adage : La haine engendre la haine. C’est le message de Jésus, des sages, de tous les prophètes, de toutes les religions, de toutes les spiritualités. À chaque fois qu’on croit avancer, finalement, on revient aux anciens. Chez les Adrinkra, c’est symbolisé par le symbole Sankofa, une oie qui regarde en arrière à la recherche du savoir et de la sagesse. (C’est un de mes tatouages 🙂).
Pour diverses raisons, à un moment donné, nous avons décidé de laisser de côté les messages des civilisations anciennes, sages et mûres. Nous avons délaissé le message de civilisations plurimillénaires qui nous disaient comment cultiver en respectant les cycles de la nature et de la lune, comment soigner avec les plantes, comment vivre ensemble avec amour, pour suivre le message de jeunes sociétés dominées par la peur et l’impatience, qui nous ont imposé de cultiver avec des engrais, de soigner avec des pilules, et de nous accorder avec la bombe atomique.
Dans un livre ancien, tiré de la philosophie égyptienne plurimillénaire, il est dit : “ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, ce qui est en bas est comme ce qui est en haut." Ils appelaient cela “le principe de correspondance”.
Les planètes gravitent autour du soleil, comme les électrons autour du noyau de l’atome. Ce qui se passe à l’extérieur se passe à l’intérieur. Ce qui se passe en haut, dans les conflits armés à grande échelle, est similaire à ce qui se passe en bas, avec nos collègues, nos parents, nos conjoints. Les mécanismes sont les mêmes et la réponse est la même en haut comme en bas, du soleil à l’atome, des pays au village : l’amour. C’est le message des civilisations plurimillénaires. C’est le message que j'essaie de suivre, tant bien que mal.
Dans toutes les religions, il existe un conflit entre ce qu’on appelle les “rigoristes” et les “modérés”. Mais ces termes sont trompeurs, car il ne s’agit pas d’une question de rigueur ou de souplesse. Il s’agit plutôt de savoir si les anciens nous ont laissé des messages au sens propre, qu’il faut suivre à la lettre sans contextualiser, sans perspective, sans recul, ou s’ils nous ont laissé une multitude de récits et d’histoires, comme l’Arche de Noé, le mythe d’Isis, Jésus et les apôtres, pour nous guider vers un développement personnel/spirituel.
En effectuant des recherches sur l’Égypte ancienne, de nombreux archéologues ont conclu que cette civilisation n’était pas simplement dirigée par des magnats mégalomanes se construisant des tombeaux à la hauteur de leur ego. Bien au contraire, cette civilisation, qui a tant influencé la civilisation gréco-romaine et qui a donné naissance aux religions abrahamiques, nous a laissé, à travers le mythe d’Osiris, toutes les images pour nous faire méditer sur notre propre cheminement personnel/spirituel. De la même manière que nous apprenons aux enfants la fierté, la paresse ou l’impatience à travers les fables de La Fontaine, les anciens nous enseignaient que la clé de la jalousie, de la peur, de l’envie, de l’impatience, est l’amour. L’amour à travers le pardon, l’empathie, la tolérance, la patience, le recul. Les anciens avaient déjà compris qu'une image vaut 1000 mots, c'est pour ça qu'ils ont inventaient les hiéroglyphes. Parce que la symbolique est plus important que le mot. Les mots aux files des années peuvent totalement changer de sens, comme médecine par exemple. Le mot médecine aujourd'hui et il y a 300ans ne sont pas utilisés pour décrire la même chose. Alors que les symboles ne changent pas. Le symbole de Seth qui tue Osiris par jalousie ne change, pas peu importent qu'on changent le nom des dieux. Le symbole de la fierté du corbeau avec le renard ne changent pas peu important qu'on change le nom des animaux.
Vous avez remarqué que, chaque fois que je parle d’amour, je mentionne le pardon, l’empathie, la tolérance, la patience et le recul. Parce qu’on réduit trop souvent l’amour à un simple sentiment d’attachement (voire à un sentiment d’appartenance, de possessivité, d’exclusivité, mais c’est un autre sujet). En réalité, l’amour est comme un repas composé d’entrées, de plats et de desserts, eux-mêmes composés de multiples ingrédients. L’amour, c’est l’empathie qui me permet de comprendre que mon père n’a pas vécu dans le même contexte social que moi, qu’il n’a pas eu accès aux mêmes ressources que moi. Donc je lui pardonne ses erreurs et ses manques. L’amour, c’est tolérer que d’autres personnes voient le monde différemment et agissent selon leurs propres convictions. L’amour, c’est la patience de laisser chacun faire son chemin et combattre ses propres démons, dans l’espace et la temporalité qui lui sont propres. L’amour, c’est comprendre que ceux qui font du mal, ceux qui méprisent, sont eux-mêmes en souffrance. En souffrance parce qu’ils n’ont pas reçu l’amour ou en souffrance à cause de la peur. Peur de la pression sociale, peur de l’isolement, peur des autres, peur de soi.
Toutes nos épreuves, tous nos échecs professionnels et personnels, qui génèrent tant d’émotions et de sentiments difficiles, chaque conflit que nous rencontrons à l’extérieur est une nouvelle occasion de progresser à l’intérieur. L’occasion de se purifier de tous ses démons, pour reprendre une terminologie religieuse. Ces expériences nous permettent de mieux comprendre l’amour avec un grand A. L’amour est complexe, et c’est pour cela que nous avons besoin de toutes ces expériences difficiles pour en comprendre les différentes nuances. L’amour éprouvé en ressentant de la gratitude pour les moments passés avec un être cher défunt est différent de l’amour empreint de patience envers ses enfants, tout comme il est différent de l’amour empli d’empathie envers celui qui vous klaxonne un vendredi soir parce qu’il est pressé de rentrer pour faire un bisou à ses enfants avant qu’ils ne s’endorment.
Luc Bodin disait : “Vous ne pouvez pas vaincre l’obscurité avec du noir. Si vous voulez ramener la lumière, il faut ouvrir la fenêtre et laisser entrer le soleil.” Il y a une raison pour laquelle les anciens Égyptiens vénéraient Rê, le dieu soleil. Et il y a une raison pour laquelle les mots “lumière”, “soleil”, “vie” et “amour” sont synonymes. Parce que c’est la clé de toutes les serrures.
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